mercredi 28 mai 2014

A en perdre son latin...

27 Mai, camp 36
Distance du jour : 153 km
Distance totale : 3174 km
Position : N75.354 W28.291, alt  2400 m
Temps de progression : environ 10 heures

Nombre de jours de progression, nombre de camps, date du jour... Tout cela est parfois un peu confus dans nos esprits. Nous sommes encore moins capables de dire quel jour de la semaine nous sommes car cela n'a aucune incidence sur notre emplois du temps. Mais un fait notoire est que nous perdons aussi progressivement l'échelle de temps au sein même de la journée.
Notre rythme quotidien s'étire sur 28 ou 30 heures environ. Sans être un choix parfaitement calculé et décidé, il semblerait que ce soit tout simplement le meilleur compromis efficacité / repos. Une étape (la phase de progression proprement dite), surtout si elle est longue, occupe entre 1/3 et une moitié de journée normale (de 24 heures). Les phases intermédiaires de montage et surtout de démontage du camp, mais également les 2 repas pris sous tente (dîner et petit-déjeuner ; ces derniers temps, dans le tiers nord du Groenland, parce que l'exposition aux températures basses est une épreuve réelle pour les organismes, nous prenions même le déjeuner sous tente, avant le démontage du camp et nous limitions alors à des pauses très courtes pendant la progression...) sont également chronophages. Reste le temps dévolu au sommeil, au repos et à la communication.

Les premières semaines, il est assez réaliste de réduire un peu les temps de sommeil et de repos pour réinvestir ce temps ailleurs, notamment dans la progression, ou pour rester dans un rythme classique de 24 heures. Après un mois d'effort, cela devient beaucoup plus complexe : les phases de récupération ne sont plus tout à fait facultatives... Dans ces conditions, 24 heures ne suffisent plus pour assurer un équilibre entre les différentes phases, et c'est donc très naturellement que la durée de la journée s'allonge. Cela est évidemment grandement facilité par l'absence de nuit.

Avec le jour permanent, avoir un cycle quotidien de 28 ou 30 heures n'est en soi pas du tout un problème si vous n'avez pas à vous conformer à des horaires se rapportant à un rythme circadien classique. Dans notre cas précis, si nous n'avons aucune obligation de rythme de type "sociétal", il y a tout de même une entité extérieur qui donne le tempo : l'aérologie. Cette dernière est tout à la fois rythmique (les vents catabatiques, essentiels à notre progression, sont plus forts la "nuit") et arythmique (les vents d'origine météorologique suivent des rythmes plus aleatoires et complexes, indépendants du rythme circadien).

Notre rythme de plus de 24 heures nous fait ainsi perdre régulièrement de bons créneaux de vents catabatiques car nous ne parvenons pas à nous calquer systématiquement dessus... Mais la présence, la force, la direction du vent restent de toute façon des phénomènes complexes que l'on a bien souvent du mal à appréhender avec justesse, en dépit des infos précises que nous envoie chaque jour notre routeur.

Bref, nos contraintes propres et celles de l'environnement dans lequel nous évoluons font qu'il est presque impossible de fixer un rythme. Et plus que de progresser aux heures les plus froides (la " nuit") ou de se coucher en milieu de "journée", le plus déroutant est d'être en permanence décalé de quelques heures par rapport au jour précédent, avec de temps à autre un décalage dans le sens inverse du décalage systématique habituel (par exemple, si une opportunité aerologique l'exige)...
On finit vraiment par en perdre notre latin, au point qu'il devient difficile de se souvenir à quelle heure nous avons débuté ou fini l'étape ou notre "nuit" de sommeil. Vous l'aurez compris, nous sommes bien déphasés !

130 des 153 kilomètres parcourus aujourd'hui l'ont été sous Beringer 8, par un fort vent chasse-neige de 40 à 50 km/h (magnifiques lumières au départ de l'étape vers 3 heures du matin), d'abord dans une allure un peu exigente car légèrement au prés, puis plus favorable car portante. Les 20 derniers ont été effectués en Speed 10, par vent plus faible, dans une allure très arrière.

Nous sommes actuellement au point le plus Est de notre itinéraire, soit à une longitude un peu supérieure à 28 degré ouest. Nous allons faire désormais route au sud-sud-ouest.
Pour equivalence côté européen, nous venons de repasser sous la latitude de la pointe sud du Spitzberg.

PS :
- spéciales salutations au norvegien Niklas Norman, auteur de la première traversée longitudinale du Groenland en kite-ski en 2005, et de la plus belle des manières qu'il soit puisqu'il reste à ce jour codétenteur, avec une autre équipe norvégienne, du record de temps de la traversée (2300 km parcourus en 21 jours, soit une incroyable moyenne quotidienne de 110 km / jour...). Niklas, merci pour ton message, nous en mesurons la valeur :-)
- spéciales salutations aussi à mon pote Loulou (sans oublier Franck et le reste de la famille), en souvenir de "l'époque t-shirts" des premieres expés Latitudes Nord. Merci à toi l'ami pour ces coups de pouces, je n'oublie pas...
- Alain R., pas d'inquiétude pour l'Islande cet été, le message était adressé à Alain K ;-)

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